mardi 8 décembre 2009

Fait divers

J'ai grimpé dans ce wagon sous le feu de quarante regards fatigués et exaspérés. J’ai surpris deux ronds marrons lubriques qui me détaillaient tranquillement, comme l’affamé en plein carême évalue une religieuse au chocolat rondouillarde dans la vitrine impeccable d’une boulangerie responsable du taux de cholestérol d’un quartier huppé. Comme si j’étais une gourmandise sucrée qu’on peut acheter et s’enfiler pour quelques euros.

Puis, je me suis lovée contre le coude aiguisé d’une femme qui m’a jeté deux yeux dénonçant mon immiscion dans SON wagon, comme si je lui avais piqué un taxi sous le nez, à cette conne qui prend les transports en COMMUN.

Puis j’ai vu les deux amants. L’homme minuscule et la femme laide lui souriant, pendant qu’il feignait de ne pas la voir. Le genre de personne qui préfère tirer la gueule plutôt que de larguer une fille folle de lui, et qu’il n’aime pas. Le genre qui préfère ne pas être tendre et refuser des baisers plutôt que de rester seul parce que le genre de femme qu’il condescend à trouver attirante ne s’attarderait pas à un instant sur sa personne odieuse et renfrognée.

Puis, j’ai vu la femme trop maquillée. La femme clown triste. La femme toute barbouillée de couleurs aux multi bagues en or dansant sur ses doigts boudinés, les yeux gonflés de fatigue, les paupières bleu électric fermées, ses cils peints couleur du ciel écroulés sur ses joues rougissant d’être revêtues d’une teinte rouge jeune fille aussi inappropriée.

Je me dis qu’elle est peut-être la seule chose un peu touchante de ce wagon rempli à en vomir d’égoïstes sauvages et décérébrés.

Quand une grande godiche à grosse bouche peinturlurée sur échasses me tire instantanément de ma rêverie en mettant un point d’honneur à étaler tout son poids de grande godiche, juste sur l’ongle de mon grand orteil droit.

Alors la douleur me fait réagir et me sort d’un coup de ma léthargie. Cette léthargie féroce qui avait raison de moi depuis trop longtemps. Cette léthargie qui s’est envolée comme un courant d’air claque une porte d’un coup sec et affirmé, laissant tout d’un coup place à une parfaite sérénité pleine de calme, de luxe et de volupté.

Alors, je réalise enfin que ce qui manque vraiment dans notre société, que seul véritable problème, là où ça accroche, ce qu’il faut absolument arranger, c’est le sens du tactile, les rapports humains : c’est se toucher ! Tous, touchons nous vraiment, merde, c’est vrai, je me dis, transcendée! On se voit, on se croise, mais on ne se touche vraiment jamais ! Pas du tout assez.

Alors j’ai enfoncé de toutes mes forces mon coude à moi dans les côtés de la conne qui n’avait pas enlevé le sien de tout le trajet, j’ai enfoncé mon talon d’un énorme coup de pied dans celui de la salope qui ne s’était pas excusée, j’ai choppé le bras du pervers qui attendait, offert, accroché à la barre à bactéries, si tentant, là juste sous mon nez, et je l’ai mordu jusqu’au sang alors qu’il continuait à me regarder, rendant mon hommage personnel et humble à Twilight, mon film préféré. Enfin, j’ai fixé la femme moche amoureuse de l’homme minuscule, l’égoïste à l’air froid et écœuré, et droit dans les yeux je lui ai expliqué :
- Largue ce con. Il t’aimera jamais.

Alors, les portes se sont ouvertes, et la foule s’est écartée loin de moi, pour me laisser passer. Et dans un calme absolu, j’ai effectué mes changements et le reste de mon trajet, jusqu’à ce que des mecs en uniforme me mettent dans une grande voiture privée. Et là, à l’arrière, j’ai essuyé le sang sur ma jupe gris foncé. Rien à faire, il était déjà séché. Il n’y avait que moi dans le fourgon policier. Dans le calme, sereinement, enfin j’ai pu tranquillement voyager.