samedi 16 mai 2009

Si les murs avaient des oreilles, ils préfèreraient être sourds

Entendu hier :
- Moi, je suis quelqu'un de très humble.

Entendu hier :
- On a jamais couché ensemble nous ?

Entendu hier :
- Je serais bien rentré avec toi, mais j'ai pas de deuxième casque.

Entendu hier :
- C'est un homme ou une femme derrière toi ?
- Je sais pas, mais il a des seins.

Entendu hier :
- Tu préfères lécher une selle de vélib ou un pigeon ?

Entendu hier :
- Si j'avais de l'argent je paierais quelqu'un pour faire pipi à ma place !

Entendu hier :
- Putain, si on notait toutes les conneries qu'on disait !

Entendu hier:
- Salut, enchanté. Yves.
- Gabrielle. Enchantée.
- Moi suis chef op à New York et toi?
- Moi non.

Entendu hier :
- Moi, on me fait jamais de compliment. Quand on m'en fait un, on me dit "elles sont belles tes lunettes".

Entendu hier :
Homme bourré accompagné de femme vulgaire et dodue le cheveu faussement blond. Au serveur :

- Vous savez pas où on peut se garer dans le quartier ?

- Non, mais c'est pas facile de trouver dans le coin...

- Oh, la place POLICE est libre !!! Vous croyez que je peux m'y garer ?

- ...

vendredi 8 mai 2009

Parfois on ne peut pas se contenter de dire « c’est beau »

Parfois ce qu’on vit est si putain de beau, qu’on ne peut pas se contenter de dire « C’est beau ». On ne peut que dire « putain, c’est beau ! ». On ne peut qu’attraper au vol ce mot laid, vulgaire, arraché, non maîtrisé qui décrit mieux que tout les whaouh, sublimissime, magnifique, splendide, incroyable, inouï, merveilleux, abracabrantesque, ce que tu vies là, à cet instant. Un bon gros « putain ». Sobre. 5 lettres. Vrai. 5 lettres. Juste. 5 lettres. Le plus juste. Le meilleur adjectif et de loin. Celui qui dit exactement. Le seul qui dit exactement. Celui qui sort des tripes pour aller directement se poser sur ta langue sans passer par la case cerveau. Dans ces précieux moments où tu t’en tapes bien de ton cerveau. Où enfin, merveille, splendeur, fulguration, magnificence, sublimité, il se débranche, il te fout la paix, ton débile de cerveau. Il se met en mode off. Il ferme sa grande bouche. Il arrête de jouer au con. Il te lâche, te libère, te débarrasse de sa présence insupportable. Et il te laisse vivre béatement l’un de ces moments suspendus entre les nuages et le temps.

La première fois que j’ai vu la femme qui pleure de Picasso à la Tate Gallery, je me suis dit dans ma tête « Sacré nom de putain. Sacré nom de putain, que c’est beau ! » Et j’ai laissé mes larmes mouiller mes joues.

La première fois que j’ai terminé L’amour au temps du choléra de Gabriel Garcia Marquez, je me suis dit « Oh ?!? J’ai terminé ? C’est fini ? Oh putain c’que c’était beau ». Et j’ai laissé mes sanglots me secouer de bout en bout.

La première fois que je me suis vue reflétée dans un tableau de Bacon. Ca fait ça d’aller voir sur pattes les tableaux de Francis Bacon. Il fait exprès de mettre une vitre sur ses toiles, pour que tu te voies au milieu d’elles, dedans, bien dessiné. Ton reflet à toi fait partie de son œuvre. Et bien la première fois que je me suis vue dans une toile de Francis Bacon, je me suis dis « C’est fort putain ! ».

La première fois que j’ai vu l’éléphant en équilibre suspendu sur sa trompe au Palais de Tokyo, je me suis dis, dans le silence de la salle blanche, juste un murmure dans ma tête « Oh puuuuuuutain. C’est beauuuuuuuu ! ».

La première fois que j’ai vu le pianiste de Polanski, je me suis dis, si calme, si apaisée, le stade de l'admiration et du numéro 10 de l'échelle de 1 à 10 de mes émotions dépassé, « Putain. Quel chef d’œuvre. Putain. ».

La première fois que j’ai vu la Chapelle Sixteen, j’ai ouvert grand la bouche, aspiré des mouches, et je me suis dis « Putain. C’est sublime ». Puis, en tournant la tête pour tout retenir, tout regarder, pour continuer à alimenter les battements de mon cœur, je me suis dit « Putain, putain, putain, putain, putain … ».

La première fois que j’ai vu les Nymphéas de Monet, je me dis dit « Putain, pleure pas. Putain, pleures pas. Putain, pleure pas. Putain trop tard ».

La première fois que j’ai lu les Raisons de la Colère, je me suis dit « Putain, c’est terrible. Putain, c’est horrible. C’est putain de beau. ».

Ce matin, dans le métro, quand j’ai vu l’homme. L’homme vêtu d’une veste années 80 certainement récupérée dans quelque Croix rouge, de son jean taille haute au délavé passé et dépassé. L’homme qui sans introduction, sans cliché, sans excuse, sans honte, sans « désolé de vous déranger dans votre trajet messieurs dames ». L’homme qui a chanté cet air inconnu d’une voix qui ne chantait pas. D’une voix d’acteur. D’une voix de conteur. L’homme qui interprétait, regard fixé sur ses chaussures, une chanson inconnue aux airs de Renaud. L’homme qui est arrivé là, s’est planté au milieu du wagon, sans tambour ni annonce. L’homme qui s’est mis à chanter sa chanson. La chanson de l’homme qui vit dans la rue. La chanson de l’homme qui avait des amis. La chanson de l’homme qui, il fut un temps d’accalmie, écoutait cette chanson en se disant « Putain de monde !». La chanson de l’homme qui a ce courage là. Celui de venir chanter aux vrais gens que nous sommes derrières nos paupières alourdies par le manque de sommeil, notre compte en banque qui attend beaucoup de nous, nos vêtements de ville, notre maquillage, nos chaussures chères, nos montres, notre ambition, nos regrets cachés. Celui de nous chanter sa chanson. Et justement, sans chanter non. Parce que cet homme ne sait pas chanter. Juste interpréter les paroles d’une chanson qu’il aime vraiment et qui nous parle à nous les vrais gens qui restons cachés derrières les pubs alignées le long des voies, derrière nos jambes croisées, nos mains crispées sur nos sacs à main, notre journée qui est déjà si pénible à peine commencée, notre course poursuite contre le hold up du temps. De nos vrais moments. Ceux où on aime, ceux où on embrasse passionnément, ceux où on danse, ceux où on rit ensemble juste parce que c’est la futilité qui compte vraiment. Et cet homme qui nous chante là son refrain nostalgique, qui nous parle de lui en faisant trembler sa voix. Cet homme qui vient, qui ne s’annonce pas. Cet homme qui ne coupe pas sa chanson. Non, jusqu’au bout il va, sans regarder si les gens autour l’écoutent. Jusqu’au bout il va, pas question de se taire. Jusqu’au bout il nous la donnera sa chanson. Cet homme qui ne chante plus que pour lui. Cet homme est là-devant nous. Il nous donne sa voix. Puis l’air se termine, et toujours silencieux, il traverse le wagon, ramassant la monnaie. Parce que ce matin, tout le monde lui a donné de l’argent. En silence. Sans se regarder « Ah, tu donnes toi ? Alors je vais donner ». Non, dans le silence tout le monde a donné, sans se concerter. Des pièces rondes pour le remercier. Le remercier de nous redonner notre boule au ventre, de nous avoir rappelé qu’avant tout, on est des vrais gens. Et bien quand tout le monde y est allé de sa pièce, en silence. Quand tout le monde y est allé de sa pièce ce matin, je me suis dit « Putain, c’est beau ».